1816-2016 - Bicentenaire

Deuxième épisode – 1835 / 1852, lorsque chantent les grillons…

20 ans de tout temps

Un intérim qui s’éternise

Cela faisait déjà près de quatre mois que Roussel-Galle avait été nommé directeur de l’Ecole des mineurs, un 30 novembre 1835…, et Roussel Galle ne quittait toujours pas sa précédente affectation d’ingénieur en chef de l’arrondissement de Chaumont. Alors, en ce matin printanier de 1836, Antoine Delsériès, directeur par intérim, avait réuni les enseignants.

« – On parle en haut lieu de dédoubler le poste de directeur de l’Ecole et de chef de l’arrondissement minéralogique. Ce n’est pas une mauvaise idée, la charge des deux fonctions est beaucoup trop lourde. Mais que fait donc Roussel-Galle ? Qu’il devienne directeur une fois pour toutes, et que pour ma part, je retourne sur le terrain. »

Delsériès aimait ce contact avec la mine. En tant qu’ingénieur des mines de l’arrondissement de Saint-Etienne, il s’était illustré plusieurs fois lors d’accidents miniers, descendant au fond, participant aux secours, allant au-devant du danger que ce soit dans les mines du Bois Monzil, du Reclus ou encore de Gourd Marin. Cela lui avait d’ailleurs valu la Légion d’honneur demandée par un certain Louis Becquey.

Site actuel du Bois-Monzil, Saint-Etienne © H. Jacquemin

Site actuel du Bois-Monzil, Saint-Etienne © H. Jacquemin

Antoine Delsériès fulminait, ayant appris par quelques proches du ministère que ce même Louis Becquey, ancien directeur des Ponts et Chaussées et des Mines du gouvernement Louis-Philippe, avait écrit à Roussel-Galle que ne pas venir rejoindre son poste par complaisance vis-à-vis de Delsériès était absurde. Il avait même ajouté que celui-ci ne serait jamais directeur d’un tel établissement. Un problème de stature, ou simplement d’ancienneté ? Ces propos rapportés avaient déstabilisé Delsériès.

Cette journée s’annonçait mal. Il lui fallait, de plus, finir le rapport demandé par l’administration parisienne en tenant compte de cette réforme de l’orthographe fraichement parue et qu’en bon serviteur de l’Etat, il devait appliquer.

« – Passer du françois au français, les pluriels en ent et non plus en ens…, mais jusqu’où iront-ils ? »

Les professeurs baissaient la tête. Mais tous comprenaient. Un intérim qui s’éternise, à toute époque cela peut devenir catastrophique.

« – Et…, que vont devenir les cours du soir pour la classe ouvrière ? » osa demander Monsieur Ferrand, répétiteur à l’Ecole.

L’Ecole avait créé ces cours qui s’y déroulaient chaque soir à 19h, complétés d’exercices pratiques le dimanche matin de 9h à 10h, mais ils attiraient peu les mineurs, fourbus par des journées de 10 heures au fond. Par ailleurs, la municipalité entendait ouvrir des écoles professionnelles dans les années proches.

« – Monsieur Roussel-Galle en décidera, cher Monsieur Ferrand. Mais je crois que notre rôle est autre que celui de former les ouvriers. ».

Ouvriers mineurs, médaille du Centenaire de l’Ecole des Mines 1816-1916 ©EMSE

Ouvriers mineurs, médaille du Centenaire de l’Ecole des Mines 1816-1916 ©EMSE

Monsieur Roussel-Galle est arrivé !

La vingtaine d’élèves de la promotion sortante 1837 qui terminaient leur deuxième année, venaient tout juste de rentrer en classe pour assister au cours de métallurgie de Monsieur Grüner. Le portier, Monsieur Bonnet, balayait le trottoir devant les deux maisons composant l’Ecole des Mineurs depuis 1827.

« – C’était un 25 avril 1837, aimait raconter par la suite Monsieur Bonnet. Mon troisième directeur ! Une voiture est arrivée, un monsieur fort bien mis en est descendu.  Il a dit quelque chose au cocher que je n’ai pas entendu. Un de ces nombreux tombereaux de charbon qui nous gâchent la vie, est passé dans la rue couvrant le son de sa voix. Mais j’ai tout de suite compris qu’il s’agissait de Monsieur Roussel-Galle, notre nouveau directeur. Enfin !, me suis-je dit ».

Il faut dire que Roussel-Galle avait reçu un ultimatum fixé au 15 avril avec un nouveau délai de dix jours et obligation de confirmer sa venue avant le 1er mai.

Roussel-Galle reçu par le premier magistrat de la ville

… Claude François Xavier ROUSSEL-GALLE né le 7 octobre 1788 à Vitreux dans le Jura. Ancien élève de l’Ecole Polytechnique, promotion 1806, et de l’Ecole des Mines de Paris ayant suivi les cours de l’Ecole des mines du Mont-Blanc de 1809 à 1811, membre du Corps des mines. Étienne Peyret-Lallier, maire de Saint-Etienne, lisait la petite fiche que son secrétaire venait de lui poser sur son bureau.

Site de l’Ecole Pratique des Mines du Département du Mont-Blanc © H. Jacquemin

Site de l’Ecole Pratique des Mines du Département du Mont-Blanc © H. Jacquemin

« – Monsieur le directeur, je suis très heureux de vous recevoir à l’Hôtel-de-Ville. Vous savez que j’ai beaucoup d’ambition pour notre ville. C’est pour cela que Sa Majesté m’a nommé par deux mandats consécutifs à ce poste. Je vais faire voter l’éclairage au gaz dans la ville la saison prochaine. Nous allons développer un grand quartier industriel, dans Le Marais à deux pas de votre école, dans les deux ans qui viennent. Vous découvrirez tout cela. Vous allez être surpris. C’est la révolution ici, Monsieur,… la révolution industrielle bien entendu ! La main-d’œuvre se presse à nos portes. Elle veut travailler ! »

D’un naturel plutôt austère, cet ancien avocat se montrait expansif lorsqu’il décrivait sa ville en complète mutation. Après tant d’atermoiements, Roussel-Galle commençait enfin à s’intéresser à cette école et à son territoire.

Quartier actuel du Marais, Saint-Etienne © H. Jacquemin

Quartier actuel du Marais, Saint-Etienne © H. Jacquemin

Dès lors, à l’Ecole, Roussel-Galle enchaîna les réunions avec les trois professeurs Fénéon, Callon et Grüner. Ils souhaitaient tous s’inscrire dans le projet ambitieux de Beaunier, faire de cette école une école reconnue au plan national. Le besoin d’ingénieurs et de dirigeants formés à l’évolution des techniques était évident. La Monarchie de Juillet engageait en effet la moyenne bourgeoisie à prendre les commandes des industries manufacturières, des concessions minières, des banques. Il y avait à faire dans cette France de 33 millions d’habitants.

Louis Grüner, géologue de terrain

Louis Grüner aimait s’échapper de ces discussions trop nombreuses. Tout cela manquait de concrétisation à son goût. Il avait été missionné pour effectuer le relevé géologique de l’ensemble du département de la Loire. Un travail de longue haleine,  essentiel pour développer de nouvelles voies de communication, pour connaitre le potentiel minéral du pays. Il se rendait le plus souvent possible sur le terrain, dans les marais de la plaine du Forez, dans les gorges de la Loire dans le pays roannais et plus loin encore dans les confins des Bois Noirs vers le Puy-de-Dôme. Il rencontrait les maires, convoquaient les paysans, les questionnaient sur la nature de leur terrain, les pierres de leurs champs. Il parcourait le massif du Pilat, seul ou accompagné de quelques élèves. Cela lui rappelait sa Suisse natale. « Heureux géologue » pensait le portier lorsqu’il le voyait revenir du terrain chargé d’échantillons, le sourire aux lèvres.

« A la semaine prochaine » lui criait le gamin qui conduisait la carriole qui l’avait ramené à la ville.

Volcanisme de la plaine du Forez, Chalain-d’Uzore© H. Jacquemin

Volcanisme de la plaine du Forez, Chalain-d’Uzore© H. Jacquemin

Des ingénieurs à la pointe de l’innovation

« – Monsieur Bonnet, vous vous souvenez de Jean-Baptiste Machecourt ?

– Oh, pour sûr, mais cela fait un bail… C’était de votre promotion, non ?

– Tout à fait, promotion 1822.

– Bien sûr, 1822, l’année où Monsieur Beaunier m’a si généreusement embauché. Le brave homme…

– Vous savez, Machecourt est maintenant ingénieur à La Machine, dans la Nièvre » répondit tout en se redressant Martin Dalger, ancien élève fier de son titre d’ingénieur aux mines de Terrenoire.

Il sortit de sa poche un article découpé dans « Le Stéphanois ».

« –   Regardez, il a inventé un parachute pour stopper la chute des ascenseurs de mine en cas de rupture de câbles.

– Je me rappelle bien de ce Jean-Baptiste, un vrai bricoleur. Il était en deuxième année quand je suis arrivé. Il m’a souvent aidé dans cette école, encore toute neuve. Il fallait suivre Monsieur Beaunier avec ses projets d’aménagement à l’époque, au moins un par jour ! ».

L’Ecole était fière de ses premiers élèves et le directeur savait valoriser leurs réussites. Mais le développement des techniques et l’élévation du niveau d’études demandé créaient de réelles difficultés dans l’enseignement. Grüner martelait sans cesse que deux années pour assimiler la métallurgie, l’exploitation minière, la géologie, et maintenant la géométrie et l’algèbre, cela relevait de la pure fiction administrative.

« –   De plus, il faut que nos élèves fassent un voyage d’étude et rendent un mémoire. Mais c’est de la folie !

– Point de remise de mémoire, point de brevet octroyé, Monsieur Grüner. Ils n’ont qu’à le faire en été, leur mois de stage ! disait Roussel-Galle,

– Mais vous savez, insistait Fénéon, que le plus souvent, ils sont déjà recrutés avant même d’avoir leur brevet. Alors le voyage d’étude durant leur été de dernière année…, ils s’en moquent bien. »

Roussel-Galle savait en son for intérieur qu’il devait plaider la cause de ses professeurs auprès de l’administration.

« – Le parachute de mines, après la turbine de Fourneyron, les agglomérés de houille de Marsay, sans oublier le chemin de fer…, reconnaissez Monsieur l’Inspecteur général que nos anciens élèves sont de vrais ingénieurs !

– Je vois cela, effectivement.

– C’est pourquoi je reviens vers vous pour vous parler de l’extension de l’école et de la création d’une troisième année.

– Certes, certes…

– Les candidats à l’Ecole des Mineurs se pressent à l’entrée, une bonne cinquantaine pour une vingtaine de places. Nos élèves ont des difficultés de logements, il y a tant de taudis insalubres dans cette ville. Nous pourrions envisager un régime d’internat…, sans oublier les loyers de notre école du centre-ville qui augmentent sans cesse et mettent en péril nos comptes. »

Les maisons anciennes de Saint-Etienne, rue Baulier © H. Jacquemin

Les maisons anciennes de Saint-Etienne, rue Baulier © H. Jacquemin

De nouveaux projets en perspective

Monsieur Migneron, Inspecteur général chargé de la région Centre, connaissait l’obstination de Roussel-Galle. Heureusement, il croyait en cette Ecole et la soutenait à la capitale.

« – L’extension, oui bien sûr, regardez ce qu’il est possible de votre côté et tenez-moi au fait. Mais pour la troisième année, j’aurai du mal à faire passer cela à Paris. »

Nous étions en 1843.

Alors, comme Beaunier un quart de siècle auparavant, Roussel-Galle se mit à la recherche d’un lieu où les poussières de charbon ne retomberaient pas sur les ouvrages de la bibliothèque et sur la collection de roches et minéraux qui commençait à prendre de l‘importance grâce au travail de Louis Grüner. Il fallait trouver un havre de paix et de travail loin des bruits de cette ville qui devenait de plus en plus industrieuse. La population approchait les 70 000 habitants, bien loin des 25 000 habitants à l’époque de l’arrivée de Beaunier.

Sur la colline de Chantegrillet, une belle et grande demeure surplombait la ville : Le château. Du terrain, des dépendances, des arbres, une belle montée qui y menait. Le directeur et ses enseignants avaient été rapidement séduits et imaginaient déjà leur vie dans les vastes salles, respirant un air pur tout en sirotant un vermouth sur les marches du château. Mais il fallait convaincre l’administration. La propriétaire de l’actuelle Ecole située route de Roanne, Madame Neyron-Desgranges réclamait toujours plus pour le loyer, les charges, ce que Paris n’appréciait guère, voyant augmenter les frais de fonctionnement d’année en année. Le loyer était ainsi passé de 1 900 francs en 1817 à  6 800 francs en 1844.

Dans les salons du Grand Cercle, bâtiment prestigieux face à l’Hôtel de Ville, commandé par Monsieur François Colcombet, fabricant de rubans, et tout juste terminé, on parlait de la nouvelle implantation de l’Ecole entre membres de la bonne société. Les manufacturiers, les directeurs des mines et des forges se sentaient pousser des ailes dans cette ville en pleine mutation. On rêvait d’hôtels particuliers, de domaines vers la plaine du Forez, mais aussi d’usines modernes, lumineuses.

L’Hôtel du Cercle © H. Jacquemin

L’Hôtel du Cercle © H. Jacquemin

« 200 000 francs à trouver pour acheter et aménager Chantegrillet. Tu imagines, ce n’est pas gagné… » disait Monsieur Bonnet à son grand garçon, devenu entre-temps garçon de salle à l‘Ecole et qui venait déjà de se fiancer.

Monsieur Roussel-Galle lui avait laissé entendre que dès l’acquisition du bien, il embaucherait Marie Ponsonnard, sa future belle-fille. Le travail ne manquerait pas là-haut pour un couple de concierge avec la chaufferie, les feuilles en automne, la neige en hiver et puis les courses quotidiennes entre la colline et le centre distant de près d’un kilomètre.

Les élèves eux-aussi en rêvaient. Mais d’année en année, ils quittaient l’Ecole pour les forges de Denain, les mines de fer et de manganèse de l’Aude ou de charbon des Asturies, ou bien rejoignaient les concessions du bassin stéphanois, sans avoir connu la nouvelle école. Juste une balade un dimanche après-midi en bande avant de redescendre dans les estaminets du centre par la rue Royale (actuelle rue de la République) en effarouchant au passage les familles endimanchées et les jeunes filles à qui ils écriraient des poèmes jamais portés durant les trois heures interminables des cours de géométrie analytique.

Élève de l’Ecole, Le Pic qui chante n°12, 1924

Élève de l’Ecole, Le Pic qui chante n°12, 1924

Intermède musical

Il n’était que neuf élèves dans cette promotion entrée en 1845, mais ils préparaient avec entrain leur banquet, celui que la première année offrait à la deuxième année. Luyton qui déjà se faisait remarquer par ses capacités scolaires, mettait la dernière main à la chanson du banquet qu’ils avaient décidé d’intituler « Franc-Mineurs ».

« Franc-mineurs que ce festin rassemble

En ce jour de prospérité

Chantons en chœur, trinquons ensemble

`Buvons à la fraternité »

« – Pas mal ta première strophe, Luyton.

Eugène Bravard lisait par-dessus son épaule.

– Je te propose le refrain :

« O doux nectar, tel qui fait qu’on oublie

Tous les soucis, les chagrins, les amours

Coule, coule jusqu’à la lie

Coule, coule, coule toujours… »

Vint le jour du banquet. Les professeurs avaient été invités ainsi que le directeur Roussel Galle.

« … dans deux ans, à la douce espérance

Fera place la réalité

Nous serons ingénieurs de France

Potassant l’immortalité »

« Potassant l’immortalité » bissa l’assemblée.

« Nous irons, explorant le monde

Du Pérou fouillant les trésors

A nous les mines de Golconde

Et les filles aux cheveux d’or »

« Golconde, mais c’est qui celle-là ? demanda Duhaut à Grüner

– Voyons, Monsieur Honoré Duahut, Golconde est une ville du centre de l’Inde située sur un massif de granite, la cité des diamants !

– Enfin, pour le moment, il n’y a que de Laribette de la promotion 1834, qui s’est retrouvé dans les mines d’Amérique du sud, au Chili me semble-t-il, glissa Fénéon à Tournaire, le professeur de mécanique.

« C’est à nous que revient la gloire

De régénérer l’univers

Nous irons au temple de Mémoire

Portés par nos chemins de fer. »

De sombres journées pour l’Ecole des Mineurs

La crise se prolongeait dans la France de Louis Philippe. Les récoltes de 1845 et 1846 avaient été catastrophiques, de nombreuses entreprises étaient en faillite, le chômage ne faisait que croître. Quant à Roussel-Galle, il était inquiet pour l’avenir de l’Ecole, jusqu’à ce 27 juillet 1847 où les deux chambres adoptèrent enfin la loi autorisant l’acquisition de la propriété de Chantegrillet pour 230 000 francs. Bien entendu, la réalité était loin du rêve. L’Ecole n’allait posséder que le tiers du domaine, le reste revenant à l’Etat. Les travaux durèrent deux années et le 15 octobre 1850, les élèves et les enseignants prirent possession des lieux.

Le site de Chantegrillet, Le Pic qui chante n° 1, 1920

Le site de Chantegrillet, Le Pic qui chante n° 1, 1920

Mais entre-temps, en 1847, Grüner fut nommé ingénieur en chef dans l’arrondissement minéralogique de Poitiers. De plus des enseignants rejoignaient la Compagnie des Mines de la Loire, véritable monopole créé en 1845. Dans cette période d’expansion, où se développait le chemin de fer et où le vaste domaine minier devenait de mieux en mieux géré, de belles carrières mieux rémunérées qu’à l’Ecole s’envisageaient. Enfin, l’administration refusait toujours d’octroyer une troisième année.

Alors Roussel-Galle écrivit au sous-secrétaire d’État que la décision de transfert de Grüner privait l’Ecole des Mineurs d’un professeur laborieux, capable et expérimenté, et dont les cours étaient faits d’une manière claire et méthodique. Il soulignait la présence indispensable de Monsieur Grüner pour achever le cours de métallurgie et divers travaux commencés telle la réunion de tous les matériaux nécessaires à la confection de la carte géologique du département de la Loire, travail important qui, par la raison même qu’il touchait à son terme, ne saurait être confié à d’autres mains.

« Et pour finir, ce scandale avec Fénéon qui épouse sa maîtresse et reconnait ses enfants… Une mise en disponibilité qui ne nous arrange pas. » soupirait Roussel-Galle. Mais cela, il ne l’écrivit pas.

Les élèves et la révolution de 1848

La France était redevenue républicaine. En février 1848, Louis Philippe avait abdiqué. Le préfet de la Loire était revenu sur Saint-Etienne, bien qu’encore sous-préfecture. Il avait démissionné suivi par le maire de la ville. Les élèves en uniforme s’étaient associés aux manifestations locales. Ils portaient fièrement l’épée que Roussel-Galle tentait sans succès d’interdire.

Le Pic qui chante, 1931

Le Pic qui chante, 1931

Dans la foulée de la révolution, les élèves avaient créé un cercle avec l’accord du commissaire local de la République. Pour Roussel-Galle, un cercle n’était qu’un repère pour s’occuper de politique ou pour passer des soirées entières comme les oisifs la passent dans les cafés.

Dans ce cercle, les élèves avaient soutenu publiquement Fénéon dans ses péripéties privées et administratives, malheureusement emporté par la maladie dès 1849. Ils s’enflammaient maintenant pour Jean-Louis Benoit, le répétiteur rayé du corps des mines par décret du 13 décembre 1851 parce qu’il avait refusé toute adhésion aux actes du gouvernement.

« – Mais quel président, ce Louis-Napoléon Bonaparte ! Il a été élu pour quatre ans et il voudrait se voir reconduire indéfiniment tel un roi ! »

Dans les cafés de la ville, les élèves osaient les moqueries, opposaient la politique conservatrice et bien-pensante du parti de l’Ordre au désordre vécu dans l’Ecole.

Au Cercle, on raillait les manques de professeurs.

«      – Un nouveau professeur pour demain ?

– Mais non, ils vont demander à Janicot de remplacer Labrosse-Luyt. Janicot, c’est le répétiteur à tout faire ! »

Claude Janicot, un ancien de la promotion 1839, Auguste Luyton major de la promotion 1847, et d’autres encore, étaient appelés en renfort pour pallier le manque d’enseignants.

Monsieur Bonnet suivait cela de loin dorénavant. Il ne comprenait plus trop ce qu’allait devenir les élèves, des garde-mines qui allaient assister les ingénieurs ou des directeurs d’exploitation… Depuis l’arrêté du 18 février 1840 créant les garde-mines sous l’autorité des ingénieurs, de nombreux élèves, plutôt moyens dans leurs résultats,  avaient opté pour cette carrière.

La vie lui semblait plus simple en 1825 avec une seule bâtisse à gérer. Aujourd‘hui, on le voyait courir sur tout le domaine, toujours prêt à réparer une fuite, assister un enseignant, porter une missive à la poste. Il veillait aussi à bien fermer la porte 10 minutes avant huit heures du matin. Les élèves arrivaient essoufflés d’avoir gravi au pas de course l’avenue des Tilleuls et tambourinaient à la porte. Ils ne pouvaient rentrer en douce dans la salle de cours. Monsieur le directeur était intransigeant sur les horaires.

La rentrée du matin à Chantegrillet, Le Pic qui chante n°2, 1920

La rentrée du matin à Chantegrillet, Le Pic qui chante n°2, 1920

Le premier départ en retraite d’un directeur

En fin de la matinée du 8 février 1852, Roussel-Galle avait réuni le personnel de l’Ecole. Monsieur Bonnet s’activait au fond de la salle, préparant une collation. Il avait senti dès le matin que Monsieur Roussel-Galle avait une annonce d’importance à faire. On avait veillé tardivement hier, dans l’appartement du château. Les professeurs se regardaient interrogatifs. Quelle nouvelle tuile ? Roussel-Galle, quelque peu tendu, déplia son papier riche de multiples ratures, s’éclaircit la voix. Il commença par les féliciter pour le travail effectué dans les conditions difficiles bien connues de tous, puis remercia les jeunes répétiteurs, le personnel d’entretien, monsieur Bonnet et madame… Celui-ci se redressa, fier et heureux, tordant dans ses mains son béret qu’il avait retiré dès les premiers mots du discours. Les compliments n’étaient pas coutumiers de la part de ce directeur plutôt réservé. Enfin Roussel-Galle annonça qu’il quittait l’Ecole des Mineurs pour prendre sa retraite acceptée à Paris. Il avait fêté ses 63 ans en octobre dernier. Dans ces derniers mois, il avait réussi à resserrer les rangs de ses enseignants. Les élèves avaient apprécié l’accord de Paris de clore la deuxième année le 1er juin et de la prolonger par des excursions sur le terrain, dans les mines et dans les forges. Un certain équilibre avait été retrouvé à l’Ecole des Mineurs de Saint-Etienne. Mais dans toutes les têtes, il semblait bien précaire.

« Mais n’ayez crainte, chers amis, mon remplaçant est de qualité et vous le connaissez bien ! dit-il en levant son verre de mousseux.

– …et je porte un toast en son honneur ».

Pour la première fois de la matinée, un sourire apparut enfin sur son visage. Chacun se regardait. Quel nouveau directeur, l’administration parisienne  allait-elle leur envoyer ?

 

A suivre…

Hervé Jacquemin

Avec les contributions de Michel Cournil et Rémi Revillon

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École des MINES de Saint-Étienne

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