1816-2016 - Bicentenaire

Troisième épisode – 1852 / 1868, La cité minérale

L’ère Grüner

Dans la ville, la nouvelle s’était vite répandue en ce début février 1852. Louis Grüner, revenait dans la cité stéphanoise. Natif d’Ittingen près de Berne, polytechnicien et ingénieur du corps des mines, il était nommé à la tête de l’Ecole des Mineurs.

Louis-Emmanuel Grüner

Louis-Emmanuel Grüner

Louis-Emmanuel Grüner avait vite retrouvé ses marques. Certes, il avait quitté Saint-Etienne lorsque les cours se donnaient encore dans la ville basse et il retrouvait maintenant son école sur les pentes de la colline de Chantegrillet. Il se rappelait de son arrivée à Saint-Etienne en 1834 au service ordinaire des mines, sa nomination, dès l’année suivante, comme  professeur de chimie et de métallurgie à l’École des mineurs jusqu’à sa mutation due à sa promotion en 1847 pour le district de Poitiers.

Grüner comptait s’imposer dans la ligne droite de Beaunier. Il avait de l’ambition pour cette école et entendait associer science et technique en un même enseignement dans ce territoire propice. Il allait le prouver.

« – Monsieur, le directeur du collège jésuite est arrivé, annonça Honoré Duhaut, ancien élève de la promotion 1832.

– Alors Duhaut, toujours répétiteur depuis 1840 ?, lui glissa malicieusement en aparté Grüner,

– Certes, Monsieur le Directeur, je ne suis que breveté de l’Ecole des mineurs et non du corps des mines. Je ne peux prétendre à un statut de professeur » lui répondit-il avec un brin d’amertume.

 Depuis la promulgation de la loi Falloux du 15 mars 1850 qui permettait aux écoles privées de développer leur enseignement, des écoles à majorité confessionnelle s’installaient sur la ville. Le collège jésuite s’était d’abord implanté dans l’immeuble de l’ancienne Ecole des mineurs.

« – Mon Père, vous avez quitté nos anciens locaux que vous aviez repris rue de Roanne ?

– Ils devenaient trop exigus. Nous avons transféré le petit collège Saint-Charles dans la rue du Vieux Montaud pour en faire le collège Saint-Michel. Nous y développons l’enseignement, Monsieur le Directeur, et comptons recevoir des élèves de toute la France pour préparer au concours d’entrée à votre grande école.»

Après la période incertaine de ces dernières années quant au devenir de l’Ecole due, entre autres, à l’ouverture de l’Ecole de maîtres-ouvriers mineurs d’Alais (actuellement Alès) en 1843 par Pierre-Jules Callon ancien professeur de l’Ecole des Mineurs, l’intérêt était revenu pour celle que l’on appelait de plus en plus « Ecole des mines ». Il en découlait, au sein de la ville, une stimulation de l’enseignement. Des classes préparatoires s’ouvraient, des élèves venaient de Paris, Toulouse voire même du Luxembourg, pour préparer le concours spécifique à Saint-Etienne et espérer intégrer l’Ecole. Nous étions loin de la  ville de 1816 riche d’un seul collège de 2ème voire 3ème catégorie.

Tampon de l’Ecole des Mineurs

Tampon de l’Ecole des Mineurs

Site de Chantegrillet, dessin1954 ©Association ICM

Site de Chantegrillet, dessin1954 ©Association ICM

Le père Bonnet, quant à lui, était toujours concierge de l’Ecole. La tâche ne manquait pas sur le domaine de Chantegrillet.

« – Eh Bonnet, où cours-tu donc encore ? lui criait-on régulièrement.

– Monsieur le Directeur me demande de porter ces lettres au comité des mines de la Loire et à la société métallurgique ! Je n’arrête pas ! »

Le chemin était verglacé ce matin-là. La neige recouvrait la ville, les fumées semblaient figées au-dessus des faubourgs. Au début de cet automne 1852, le 18 septembre, il y avait eu la visite du Prince-Président Louis-Napoléon Bonaparte à Saint-Etienne, et bientôt ce sera la Sainte-Barbe. Quelle fin d’année 1852 ! Quant à Grüner, il avait déjà en tête de créer une Société de l’industrie minérale. Mais il lui fallait convaincre l’industrie locale avant d’en faire un outil de renommée nationale. Associer les diverses branches industrielles devrait aider, selon lui, à l’avancement de l’art des mines mais aussi de la sidérurgie.

Dans les salles des collections

« – Ah, tous les échantillons de mes courses passées enfin réunies dans une salle des collections digne de ce nom. C’est toute l’œuvre du Créateur que vous avez sous les yeux, mon cher Parran ! »

Le directeur Grüner aimait rejoindre son professeur de géologie et évoquer les merveilles du monde. Ce jour-là il voulait vérifier ces roches siliceuses qu’il avait rapportées dernièrement de la butte de Saint-Priest (actuellement Saint-Priest-en-Jarez) à la sortie nord de la ville.

« – Regardez ces passées régulières blanches et ocres, cette dureté de la roche, je penche de plus en plus pour des geysérites. Oui, Parran, il y avait des geysers pendant que se formait le bassin houiller de Saint-Etienne dans les temps antédiluviens ! »

Site géologique de Saint-Priest-en-Jarez et niveau de geysérite © H. Jacquemin

Lorsqu’il ne se tournait pas vers la géologie, rédigeant ses futurs ouvrages sur la géologie de la Loire et sur celle du bassin houiller de Saint-Etienne, Grüner se consacrait à la métallurgie. Les idées foisonnaient en ce milieu du 19ème siècle, du côté de l’Angleterre avec l’ingénieur Henry Bessemer, et de ce côté-ci avec les recherches entre autres, de l’Ecole des Mineurs. Grüner tentait de trouver le moyen de déphosphorer l’acier.

La Minérale

Ce soir-là du lundi 4 décembre 1854, tous les directeurs des concessions minières étaient réunis au Cercle. La procession de la Sainte-Barbe s’était achevée et sur la place de l’hôtel de ville, l’explosion des dernières boites renfermant des pétards et quelques coups de trompettes et tambours se faisaient encore entendre. Janicot, Bayon, Luyton et les autres, tous les anciens élèves de l’Ecole devenus ingénieurs ou directeurs des houillères, entouraient César Courtin, ancien élève de la promotion 1840 et tout nouveau directeur des Houillères de la Loire. Grüner savourait ce moment, voyant, grâce au travail de l’Ecole, véritable interface entre sciences et industrie, les liens se tisser entre la mine et la métallurgie, creuset de la future société de l’industrie minérale.

Quelques mois plus tard, Grüner pouvait ainsi s’adresser aux industriels, aux ingénieurs des mines :

« – En ce 29 avril 1855, nous déclarons créée la Société de l’Industrie Minérale ayant pour but  de concourir au progrès de l’art des mines, de la métallurgie et des industries qui s’y rattachent.

– Longue vie à La Minérale ! » s’exclama Blaise Baure, major de la promotion 1840 et venu tout spécialement pour l’occasion, des mines de Bézenet dans l’Allier.

La Minérale allait croître dans Saint-Etienne, la nouvelle préfecture de la Loire, car Saint-Etienne deviendrait enfin chef-lieu du département au 1er janvier 1856 à la place de Montbrison. On ne parlait que de cela dans les estaminets proches de la place Royale, le long du Furan, en cette fin de juillet 1855.

« – Depuis sa venue en septembre 1852, il ne nous a pas oublié notre empereur! » fanfaronnaient les anciens républicains reconvertis.

Par la loi du 31 mars 1855, Saint-Etienne englobait dorénavant les communes de Montaud, Valbenoîte, Beaubrun, Outre-Furens. Elle atteignait alors les 90 000 habitants.

A l’imprimerie de Théolier Ainé, place du Marché (actuellement place Dorian), les commis entouraient les typographes affairés. Le bureau de la Société venait examiner le tirage des 500 exemplaires du deuxième Bulletin de la Société de l’Industrie Minérale.

« Tome 1, octobre novembre décembre 1855…, pas d’erreur. Regardez tous nos anciens élèves qui apportent leur contribution, Blaise Baure bien sûr, Auguste Luyton, de la promotion 1847 et même Balthazar…, dit Grüner avec délectation.

– Balthazar ?

– Voyons, Janicot, lorsque vous étiez répétiteur, rappelez-vous ce Balthazar Janoyer qui avait fini second en 1846. Il est parti ensuite aux forges de Clavières à Vierzon.

– … et trois articles de votre main, Monsieur le Directeur, dont un sur les mines d’argent du Chili… Mais, vous connaissez ce pays ?

Hélas non, je n’ai voyagé que 18 mois dans les contrées germaniques dans ma jeunesse et dernièrement en Angleterre. Mais J’ai travaillé à partir de l’ouvrage de Benjamin Lenoir que la société a reçu dernièrement… Une dernière chose, Janicot, vérifiez bien que les cotisations vous soient bien adressées place Royale (actuellement place du Peuple), nous en avons besoin. Nous étions 22 ingénieurs à la réunion préparatoire du 4 février. Nous avons réuni 208 adhésions le 29 avril et nous sommes 289 membres en cette fin d’année. Il faut au moins doubler l’an prochain ! »

Du provisoire avec du Souich

« Parran, Grüner…, ils partent tous à Paris ! » Les enseignants, mais aussi les ingénieurs formés à l’Ecole étaient amers en cet automne 1858. Le 15 novembre 1858, Louis Grüner quitta en effet Chantegrillet pour rejoindre l’Ecole des mines de Paris. Une époque semblait s’achever. Grüner n’avait pas réussi à imposer à l’administration parisienne les trois années de scolarité qui lui semblaient primordiales pour une bonne formation d’ingénieurs. Mais autant sur le plan scientifique, que technique et de la formation, il se retournait avec quelque fierté sur l’œuvre accompli. Il comptait bien suivre le devenir de son école et de la Minérale depuis Paris.

Charles Amable Alban Judas du Souich © ENSMP

Charles Amable Alban Judas du Souich © ENSMP

Charles Amable Alban Judas du Souich, polytechnicien, habitait Saint-Etienne depuis six années. Après avoir contribué à la découverte du bassin minier du Pas-de-Calais, prolongation du vaste bassin de la Belgique et du Nord de la France, il était arrivé comme ingénieur en chef de l’arrondissement minéralogique de Saint-Etienne. Il avait été nommé pour calmer l’ardeur des différentes compagnies rivales du bassin houiller. La Légion d’honneur à la boutonnière, une médaille de la toute première exposition universelle en France de 1855 dans la vitrine de son bureau, le tout nouveau directeur par intérim de l’Ecole des Mineurs poursuivait son travail de conciliation dans un bassin confronté à des divisions au sein de la Compagnie des Mines de la Loire qui vivait ses dernières heures. Il suivait également le service de contrôle du chemin de fer Loire-Rhône.

« – Monsieur Mallard, vous venez d’arriver, mais vous verrez, ce directeur provisoire ne s’intéresse pas spécialement à notre école, glissa, en cet automne 1859, Lan, le professeur de docimasie et métallurgie qui regrettait ses discussions passées avec Grüner.

– Mais j’ai ouï dire que ses observations au puits Charles à l’été 1855, suite à un coup de grisou et un incendie, ont permis de mieux comprendre la propagation de ce phénomène porté par les poussières de houille.

– Certes, certes, mais il ramène toujours tout à son passé, à son épopée dans le Pas-de-Calais ! Monsieur Mallard, concentrons-nous plutôt sur nos élèves. Justement dans la promotion de 1859, Cyrille Grand’Eury, un élève modeste qui ne fait pas de bruit me parait excellent. Il est parti travailler à Roche-la-Molière à deux pas d’ici. Il ferait un très bon répétiteur pour notre école et pourrait ainsi étudier les fossiles qu’il aime tant.»

Fin octobre 1860, Alphonse Philippe descendait les malles de Monsieur le Directeur. Sa femme, Edmée, son fils et ses filles attendaient la voiture devant les marches du château. La famille du Souich allait rester à Saint-Etienne avant de monter à Paris l’année suivante. Monsieur Judas du Souich, lui, rejoignait dès maintenant la société des appareils à vapeur de la Seine.

Une école sans histoire avec Monsieur Dupont, directeur

« Le nouveau directeur de l’Ecole des Mineurs a, semble-t-il, des dons en législation. Et de plus, il a une certaine expérience de la classe ouvrière après son passage à Alais » confiait Félix de Villaine, ancien élève de la promotion 1846 qui connaissait bien le monde ouvrier. Il avait en effet dû travailler avec les gouverneurs des puits de La Ricamarie nommés directement par les mineurs et avait su le faire avec attention.

Dans les salons du Cercle place de l’Hôtel de Ville, la bourgeoisie industrielle évoquait le climat social actuel et à venir avec crainte. On semblait sortir de la crise financière qui durait depuis quelques trois années, mais la ville avait perdu de ses habitants, les petites sœurs des pauvres, très sollicitées, s’activaient tandis que la municipalité organisait un festival de musique pour les ouvriers.

Dès son arrivée de l’Ecole d’Alais, Etienne Dupont, ce nouveau directeur âgé alors de 43 ans, se préoccupa du placement des élèves dans les sociétés minières ou les forges du bassin de la Loire. Il aimait anticiper, calculer le nombre d’élèves nécessaires pour répondre aux besoins de l’industrie. En ce début des années 1860, l’industrie se faisait de plus en plus présente à Saint-Etienne, la manufacture impériale d’armes allait s’installer en 1864 face au tout nouveau gazomètre. La concentration industrielle se profilait dans le quartier du Marais.

Actuel quartier du Marais © H. Jacquemin

Actuel quartier du Marais © H. Jacquemin

Le nombre d’élèves brevetés passa à 21 en 1864 au lieu de 13 en 1861. Trois enseignants et deux répétiteurs assuraient les cours. L’Empire napoléonien avait permis aux liaisons ferroviaires de se multiplier, rattrapant le retard pris vis-à-vis de l’Angleterre, et à l’industrie de progresser. Peu à peu le régime se faisait plus libéral allant jusqu’à reconnaitre le droit de grève le 25 mai 1864. Malheureusement, les hypothèses d’Etienne Dupont s’avérèrent idéalistes.

« – Des élèves brevetés se retrouvent sans emploi, 16 sur 26 en 1867. C’est une première pour l’Ecole des Mineurs, Monsieur le Directeur. Est-ce la crise monétaire de 1866 qui rend si méfiants les investisseurs vis-à-vis du chemin de fer ?

– Bien entendu Monsieur Lan, mais pas seulement. La liquidation financière du crédit immobilier qui finançait les firmes de chemin de fer de France, d’Espagne ou de Russie, a conduit à un effet de domino. Les secteurs miniers, de la métallurgie sont atteints… ».

Dans une annexe des appartements du Comité des Houillères, 10 rue du Palais de Justice, d’anciens élèves s’étaient retrouvés. C’était soir de Sainte-Barbe. Grand’Eury expliquait qu’ils ne pouvaient rester les bras croisés, ainsi.

« – Les sortants ont besoin de nous !

– Mais également les anciens. Tous ne sont pas directeurs. Regardez François Parisse de la promotion 1863, il est encore garde-mine à Orléans…, et Claudius Guèze en Algérie, que devient-il ? »

Janicot, devenu directeur des mines du Montcel à Saint-Etienne, reprit :

« – Il serait temps de créer une amicale des anciens. Voyez comme la Société de l’Industrie Minérale fonctionne bien. Nous y sommes près de 650 à ce jour.

– Mais tu sais bien, Janicot, il y a déjà eu le Cercle des anciens et l’initiative de Fourneyron il y a plus de dix ans et  cela n’a pas donné grand-chose… personne ne cotisait…

– Certes, mais aujourd’hui la situation est combien plus grave ! répliqua Janicot.

Alors naquit la Société Amicale de Secours des anciens élèves de l’Ecole des Mineurs de Saint-Etienne en 1867.

« Monsieur, j’ai l’honneur de vous annoncer que vous avez été nommé Professeur de Législation à l’École Impériale des Mines, en remplacement de M. Lamé, appelé au secrétariat du Conseil Général des Mines. La présente décision aura son effet à dater du 16 novembre 1868. »

Le directeur Dupont relisait la missive arrivée le matin même. « Montpellier, Alais, Saint-Etienne et maintenant Paris, sans oublier le Treignac de son enfance corrézienne, que de chemin parcouru… » pensait-il non sans fierté.

« Mon cher Bonnet, je vais partir. Je suis sûr qu’ils me diront à Paris que l’Ecole des Mineurs de Saint-Etienne reste comme les peuples heureux, qu’elle n’a pas eu d’histoire durant mes six années de direction. Et pourtant s’ils savaient ! ».*

*Cf Notice nécrologique par L. Aguillon, 1897

 

 

À suivre…

Hervé Jacquemin

Avec les contributions de Michel Cournil et Rémi Revillon

École des MINES de Saint-Étienne

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